Commerages

Quand sont les jours d’hiver, dans le petit salon,

Blotties dans leurs fauteuils devant le thé brûlant,

Sur les gens du quartier, avec obstination,

Les dames patronnesses parlent en jubilant.

Elles parlent un peu de tout, sans jamais se lasser

Et leurs voix aigrelettes déchargent leur venin,

Attaquant sans complexe et sans aucune pitié,

Du séduisant notaire jusqu’au boucher du coin.

La grossesse à Denise les passionne beaucoup,

« Elle attend, savez-vous, son quatrième enfant !

En quatre ans de mariage, que les hommes sont fous !

Son mari, il est vrai, a de mauvais penchants.

Tous les soirs il s’enivre à se rouler par terre,

La cirrhose le guette, c’est affaire classée.

Quelle plaie ces hommes là, lui et son ami Pierre,

Lequel sort de prison pour vol à main armée ».

Elles bannisent le mâle et plaignent la femelle

En ressentant pour elle le mal d’enfantement ;

Elles qui, à quarante ans, sont encore pucelles,

Et qui, n’en doutons pas, le resteront longtemps.

La revue continue, très digne et solennelle.

Le boucher et sa viande y sont trouvés mêlés,

Et la pauvre Emilie qui pourtant se croit belle,

Par ces dames vient d’être hideusement traitée.

« Et le chapeau d’Annie, quel horreur de fichu !

Affreuse est cette mode qui ne respecte rien.

Et son pauvre mari, sait-il qu’il est cocu ?

Par le notaire même, maître Honoré Fabien.

Le docteur, paraît-il, a de jolies maîtresses.

Savez-vous ce qu’il fait lors des consultations ?

Oh, taisez-vous mes soeurs, que cette idée me blesse,

Je n’irai point le voir, j’en aurai le frisson.

Les fils du boulanger, eux, sont de bons garnements,

Entendez-les le soir crier sous les fenêtres.

Ne feraient-ils pas mieux de consulter le prêtre

Et d’aller à l’église y prier plus souvent ? »

« Mais en parlant d’église » disent les patronnesses,

« Et dimanche, mes soeurs, à quelle heure est la messe ? »