Mort d’une poupée

Aux lauriers, maintes fois, Marie t’en souviens -t’il,

Avons- nous, tous les deux, en un rituel sacré,

Haut et court pendue ton unique poupée,

Dans le but d’assagir nos humeurs versatiles.

Des heures nous restions, regardant, pitoyables,

Tournoyer sous la branche le pantin de chiffon,

Et s’agitant alors en de mesquins bouffons,

Nous dansions en poussant de grands cris effroyables.

Lassés, au crépuscule, nous décrochions la folle ,

La folle, ainsi nommée, en ces moments maudits,

Qui retrouvait alors, près de nous, le crédit,

D’une douce poupée dont un enfant raffole.

C’était…c’était hier, Marie voilà trent’ ans !

La pendaison passée, l’ heur’ était aux caresses,

A la méchanceté succédait la tendresse,

Et la folle attristait nos coeurs de chenapans.

Aux lauriers, maintes fois, eut lieu le sacrifice,

Mais nul autre que nous ne fut jamais bourreau ;

Nous n’aurions pas admis moindre godelureau :

La folle mourait là, par jeu, sans artifice.

Un jour, le savez-vous, elle est morte vraiment,

Jonchant nue, eventrée, sur la cour de la ferme ;

L’ odieux chien du village, de ses crocs , mit un terme,

En dévorant la folle, à nos agissements.

Aux lauriers, maintes fois, Marie t’en souviens-t’ il,

Avons-nous tous les deux, pleuré notre poupée,

Et bu amèrement la première lippée,

Au poison de la vie…. notre mort infantile.

J.C.Martineau