La table vide

Ou sont donc , mes amis, passés ?

Ceux qui honoraient ma table,

En ces temps si mémorables,

Ou dieu argent, bien amassé

Vous rendait, en ce bas monde

Un citoyen hors du commun.

Il devenait très opportun

De vous aimer à la seconde

Mais ou sont donc passés leurs coeurs

Dont chaleur égayait ma table ?

Mon vin n’est plus si délectable,

Aurait-il perdu sa saveur ?

Pourquoi leur langues se sont tues,

Elles se déliaient tant à table ;

Mon pain est-il si détestable,

De pain gris étant devenu ?

Ils ne m’entendent plus, amis,

Bien sourdes sont leurs oreilles ;

Mes plats ne font donc plus merveille

Pour apaiser leur boulimie ?

Vingt fois, j’ai dressé la table,

Vingt fois, vous n’êtes pas venus.

Avez-vous dit que le menu

N’était pas des plus présentables ?

La bonne chère du temps passé

A céder place à la pitance,

Le jour n’est plus à la bombance,

Et l’amitié interressée

S’en est allée vers d’autres tables,

Vers des esprits bien pensants,

Vers des goussets bien pesants

D’une richesse confortable.

Je sais que vous ne viendrez plus.

La nappe blanche me parait grise,

Entre les bougeoirs se précise

Votr’abandon ou je m’englue.

J.C.Martineau